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Les diagonales du temps

13 avril 2020

Garçon avec un escargot" du sculpteur hongrois Istvan Szentgyörgyi (1881-1938)

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24 juillet 2017

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24 juillet 2017

Du sang sur Rome de Steven Saylor

 

Capture d’écran 2017-07-24 à 15

Voilà une réédition que j'attendais avec impatience. Ici ou là j'avais lu grand bien de cette série qui narre les enquêtes de Gordianus dans la Rome antique. Je voulais commencer par le premier tome mais malheureusement il était épuisé depuis longtemps et atteignait des prix déraisonnables en occasion, il fallait compter 50 € pour ce livre de poche même pas en bon état. Heureusement les éditions 10-18 ont mis fin à ce scandale par cette réédition. Espérons qu'elles vont continuer à éditer et rééditer l'oeuvre de cet américain féru d'antiquité car ce premier volume m'a donné l'envie de lire tous les autres, il y en aurait une quinzaine.

Certes il faut passer par l'anachronisme de voir une sorte de détective privé enquêter à Rome à la manière déductive d'un sherlock Holmes mais une fois que l'on est passé sous les fourches caudines de cette extravagance on se régale tout du moins avec ce « Du sang sur Rome ».

Nous sommes à la fin de la dictature de Sylla en 80 avant J.C., période qui n'était pas de tout repos pour les citoyens romains quel que soit la classe à laquelle ils appartenaient ou l'opinion qu'ils avaient l'audace de rendre publique. On avait vite fait de se retrouver raccourci, la tête au bout d'une pique, cette dernière exposée sur le forum (pratique qui a connu et connaitra probablement encore, une grande fortune au cours de l'Histoire).

Or donc, un jour de canicule Tiron le joli esclave de Cicéron (106 av. J.C. - 43 av. J.C.) va, sur les ordres de son maitre quérir l'aide (rémunérée) de Gordianus pour qu'il apporte à Cicéron des éléments pour étayer la plaidoirie qu'il doit faire pour sauver d'une mort infâme Sextus Roscius. Un propriétaire terrien accusé du crime le plus impardonnable à Rome: le meurtre de son propre père. Le roman est basé sur une des premières plaidoiries de Cicéron (Cicéron, Discours, tome 1, Les belles lettres, 1965). L'affaire n'est pas gagnée car le dénommé Sextus Rocsius détestait son père qui dilapidait sa fortune dans les bordels. C'est d'ailleurs devant l'un d'eux qu'il a été assassiné. En outre l'accusé est particulièrement peu sympathique et n'aide en rien ses défenseurs... Cicéron pour épauler Gordianus lui prête, le temps de l'enquête, son précieux Tiron*. A eux deux ils forment un couple qui n'est pas sans rappeler celui de Guillaume de Baskerville et de son jeune secrétaire Adso dans "Le nom de la rose" d'Umberto Ecco.

Le premier atout de la série est que Gordianus est rudement sympathique (beaucoup plus que Sherlock Holmes ou Poirot) et puis il aime les chats**... Il habite une grande maison décatie dans laquelle avec Bethesda, son unique esclave, une égyptienne avec laquelle il vit une union assez maritale. Notre perspicace enquêteur romain ne déroge pas aux canons du genre. Il boit plus que de raison, ne sais pas résister au sexe faible (tout en trouvant Tiron très joli, il faut révéler que Steven Saylor Sous le pseudonyme d'Aaron Travis, a également publié des romans érotiques gays.) et se fait souvent rosser car il a une fâcheuse tendance à fouiller là où il ne faudrait pas... C'est d'ailleurs peut-être cette obéissance aux conventions du genre qui me gène un peu. Je trouve parfois notre Gordianus un peu trop américain... (il ne faut pas oublier que "Sang sur Rome" est le premier livre de la série par Saylor qui affinera ses personnages dans les tomes suivants...)

Les évènements historiques qui sont au coeur de cette aventure sont « les prescriptions de Sylla ». On comprend vite que Sylla n'a pas la faveur de Gordianus et donc de Saylor mais la résolution de l'énigme après moult rebondissements nous fait changer le regard que l'on a porté tout au long du livre sur le dictateur. A propos de Sylla, vers la page 280, le romancier en quelques pages très vivantes nous brosse la geste de ce grand homme d'état romain; ce cours express n'est pas parfaitement intégré au reste du récit mais quel formidable prof d'Histoire que Steven Saylor...

Petit rappel historique: Sylla est à la tête des aristocrates romains. Il est opposé au progressisme de Marius, l'autre homme fort de cette époque. Et il fallait être fort à ce moment de l'Histoire romaine face à Mithridate, le roi du Pont dont les troupes menaçaient Rome. Après 15 ans de guerre civile (de 107 av. J.C. À 82 av. J.C.). Sylla victorieux est nommé dictateur et décrète, en 82 av. J.C., la proscription de ses ennemis politiques. La dictature de Sylla est une dictature d'un genre nouveau car Sylla n'était soumis ni au jugement populaire, ni à des limites temporelles. On voit dans le roman que deux ans après la prise du pouvoir par Sylla, Gordianus craint que cette dictature ne prenne fin qu'à la mort du dictateur***. En outre Sylla accepta ces pouvoirs exceptionnels à la condition qu'il n'aurait aucun compte à rendre à la fin de son mandat... La mesure la plus controversée est l'établissement de tabulae proscriptionis, soit des listes de citoyens considérés comme des ennemis de la République. Ils étaient condamnés à mort et leurs biens étaient confisqués par l'état. On évalue qu'en sept mois, les prescriptions prennent fin théoriquement le 1 juin av. J.C., 5000 personnes ont été soumis à ces violences politiques. Ces proscrits étaient des notables qui avaient soutenu les adversaires de Sylla. Les malheureux proscrits pouvaient être éliminés par n'importe qui et leurs assassins recevaient une récompense en échange de ce service rendu à la République. Les listes ne comptaient pas que des ennemis politiques mais comme le met en scène très bien « Du sang sur Rome » aussi des gens desquels on voulait acquérir les biens. C'est ainsi que s'enrichissaient des proches de Sylla comme dans le roman Chrysogonus et historiquement Crassus.

Le mélange entre la fiction et les événements historiques est très réussi. Comme Gordianus  navigue aussi bien dans les ruelles boueuses remplies de prostituées, de mendiantes et d'assassins que dans les maisons nobles où la violence et la corruption sont bien plus raffinés, en le suivant mener son enquête, le roman propose une sorte de coupe transversale de la société romaine de la fin de la République. Gordianus croise de nombreuses figures célèbres de son temps Cicéron, Sylla, Crassus... Notre auteur connais son Cicéron sur le bout des doigts qui pourtant n'apparait pas comme très sympathique dans « Du sang sur Rome » voici ce que le célèbre orateur romain dit de Chrysogonus: << La troupe seule de ses musiciens est si nombreuse que sans cesse tous les alentours retentissent du fracas bruyant des instruments, des voix et des fêtes qu'il donne pendant la nuit. Quelles dépenses, quelles profusions ! quels festins ! honnêtes, sans doute, dans une telle maison, disons mieux, dans ce repaire de toutes les débauches et de toutes les infamies. Et lui-même, vous voyez comment, les cheveux artistement compassés et parfumés d'essences, il voltige dans toutes les parties du forum, menant à sa suite une foule de protégés, revêtus de la toge. Vous voyez encore quelle est l'insolence de ses regards et l'orgueil de ses mépris.>>. On retrouve cela dans le roman.

Les détails sont nombreux sur la vie quotidienne des Romains à cette époque, quelle que soit leur couche sociale : habitudes culinaires, loisirs, habitats, thermes, littérature de l'époque... Le lecteur est embarqué dans cette période grâce à la plume de l'auteur, riche en descriptions précises et sensitives. Rome devient un personnage à part entière et les quartiers qui composent la ville font l'objet de multiples descriptions et analyses. Tout en étant un jouisseur Gordianus sait voir et dire la poésie de sa ville. Il est parfois un peu philosophe comme dans ce passage: << La nature du temps change quand le monde dort. Les instants se figent ou se dissolvent, comme des grumeaux dans le fromage blanc. Le temps devient incertain, inégal, élusif. Pour l'insomniaque, la nuit dure éternellement, ou passe à toute allure.>>.

Le fait antique qui paraît le plus intéresser l'auteur, allant semble-t-il jusqu'à l'obséder, est les rapports des hommes libres avec les esclaves. Steven Saylor n'est pas américain pour rien...

 

 

Un proscrit découvre son nom sur la liste. (Illustration Augustyn Mirys.)

Le mélange entre la fiction et les événements historiques est très réussi. Comme Gordianus  navigue aussi bien dans les ruelles boueuses remplies de prostituées, de mendiantes et d'assassins que dans les maisons nobles où la violence et la corruption sont bien plus raffinés, en le suivant mener son enquête, le roman propose une sorte de coupe transversale de la société romaine de la fin de la République. Gordianus croise de nombreuses figures célèbres de son temps Cicéron, Sylla, Crassus... Notre auteur connais son Cicéron sur le bout des doigts qui pourtant n'apparait pas comme très sympathique dans « Du sang sur Rome » voici ce que le célèbre orateur romain dit de Chrysogonus: << La troupe seule de ses musiciens est si nombreuse que sans cesse tous les alentours retentissent du fracas bruyant des instruments, des voix et des fêtes qu'il donne pendant la nuit. Quelles dépenses, quelles profusions ! quels festins ! honnêtes, sans doute, dans une telle maison, disons mieux, dans ce repaire de toutes les débauches et de toutes les infamies. Et lui-même, vous voyez comment, les cheveux artistement compassés et parfumés d'essences, il voltige dans toutes les parties du forum, menant à sa suite une foule de protégés, revêtus de la toge. Vous voyez encore quelle est l'insolence de ses regards et l'orgueil de ses mépris.>>. On retrouve cela dans le roman.

Les détails sont nombreux sur la vie quotidienne des Romains à cette époque, quelle que soit leur couche sociale : habitudes culinaires, loisirs, habitats, thermes, littérature de l'époque... Le lecteur est embarqué dans cette période grâce à la plume de l'auteur, riche en descriptions précises et sensitives. Rome devient un personnage à part entière et les quartiers qui composent la ville font l'objet de multiples descriptions et analyses. Tout en étant un jouisseur Gordianus sait voir et dire la poésie de sa ville. Il est parfois un peu philosophe comme dans ce passage: << La nature du temps change quand le monde dort. Les instants se figent ou se dissolvent, comme des grumeaux dans le fromage blanc. Le temps devient incertain, inégal, élusif. Pour l'insomniaque, la nuit dure éternellement, ou passe à toute allure.>>.

Le fait antique qui paraît le plus intéresser l'auteur, allant semble-t-il jusqu'à l'obséder, est les rapports des hommes libres avec les esclaves. Steven Saylor n'est pas américain pour rien...

 

Nota

 

 La date de naissance de Tiron est habituellement donnée en -103 av. J.C. de Tiron soit trois ans après celle de Cicéron. Mais elle est incertaine car si Jérôme de Stridon donne la date de 103 av. J.-C. (Chronique universelle) ce qui est légèrement plus jeune que Cicéron. Cependant Cicéron le qualifie de « jeune homme » en 50 av. J.-C. (CicéronLettres à Atticus)...

 

** Là nous ne sommes pas loin de l'anachronisme car si à cette époque le chat était un animal sacré et courant en Egypte, il n'est donc pas si extraordinaire que Bethesda qui est égyptienne ait un chat, cette bête devait être très rare dans la Rome de la fin de la République. Alorsseules les riches familles romaines en possédaient. Toutefois, les chats étant des animaux prolifiques, bientôt tout le monde put avoir son chat! Le chat était le compagnon favori du soldat romain qui l'emmenait partout! Inévitablement l'armée romaine en laissât quelques-uns en cours de route… Toutefois, dans les îles Britanniques, ce sont les marchands phéniciens qui précédèrent les romains en échangeant des "minous" contre l'étain des mines de Cornouailles.

Le grand Jules Caesar n'était pas un ami des chats. On prétend que celui qui franchit le Rubicon ne faisait pas moins que s'évanouir lorsqu'il croisait un chat! Comment a-t-il pu alors courtiser la belle Cléopâtre?

 

 

mosaique romaine à Pompéi

** En fait la carrière politique de Sylla pris fin avec son élection au consulat de l'an 80 av. J.C.. Il abandonna la vie publique l'année suivante pour se retirer dans ses propriétés rurales de Puteoli où il écrivit ses mémoires qui ne nous sont malheureusement pas parvenues. La mort l'emporta en 78 av. J.C. 

 

chronologie des aventures de Gordien

 

  • Les sept merveilles -93, -90 (2012)
  • Les pilleurs du Nil -88 (2014)
  • Du sang sur Rome -80 (1991)
  • L'étreinte de Némésis -72 (1992)
  • L'enigme de Catilina -63 (1993)
  • Un égyptien dans la ville -56 (1995)
  • Le triomphe de César -46 (2008)

Entre parenthèses se trouve la date de la parution aux Etats-Unis.

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